Compte-rendu d’Olivier
PERCHE sur l’UT4M 2015 (En bas de page la même histoire en pdf)
UT4M... Cette course, jeune encore, puisque la
première édition date de trois ans, n'est guère connue des aficionados de
l'Ultra. Elle gagne pourtant à l'être : les paysages sont somptueux, les
bénévoles fantastiques, l'organisation au top. Mais il faut bien le dire : elle
se laisse pas faire. On savait que ce serait dur : on a été servis.
Bon, au plan de la préparation, je dois avouer que
j'ai eu une chance folle. D’abord cette année mon boulot s’est concentré sur la
période hivernale : j’ai donc pu m’entraîner à volonté à partir d’avril, et surtout mai. J’avais
décidé de ne pas suivre un plan d’entraînement mais de travailler sur le volume
(je me suis contenté de faire de l’intensité en côte et en fartleck selon les
sensations). L’objectif : garder de la motivation et du plaisir, même
pendant l’entraînement. Après les bosses de la vallée du Couesnon, j'ai
sillonné durant 3 semaines plusieurs massifs des Alpes : Ecrins, Mercantour,
Queyras... 17000 mètres de dénivelé avalés en 300 km. Ce séjour a été
déterminant dans ma réussite : rando, course montagne, alpinisme… J’ai pu
courir ou marcher sur tous les types de terrains, m’acclimater aux difficultés
nombreuses rencontrées en montagne. Puis de rentrer pour une douzaine de jours
sans courir (ou quasi) afin de faire du jus. IDEAL !
Finalement je ne craignais que 3 choses (hormis la
blessure ou l’accident, évidemment) : la météo (je supporte mal le grand
froid), le sommeil (je ne me souviens pas de ma dernière nuit blanche) et
l’alimentation (mon talon d’Achille en Ultra).
Heureusement, la veille, l’organisation nous annonce
que nous aurons des températures clémentes en altitude. Un problème de moins…
Par ailleurs, depuis 3 jours je prends un litre de boisson composée de
maltodextrine pour garder mes réserves énergétiques au top sans avoir à me
gaver de pâtes ou à faire un régime « hyperglucidique » : super
idée, c’est la première fois que je n’ai pas de dérangements intestinaux avant
une grosse course. Par la suite je trouverai ma recette miraculeuse pour
m’alimenter (j’en reparlerai) !
ACTE 1 :
LE VERCORS
Notre fine équipe (Vincent, Laurent, Michael et
Wilfried) est donc parée, le vendredi matin à 8 h, pour cette aventure longue
de 168 km et 10800 m de D+/D-.
Départ du centre de Grenoble en direction du premier
massif : le Vercors. Les premiers km en ville sont vite avalés, les premières
sentes grimpées avec aisance dans l'enthousiasme et la fraîcheur (hum...) du
début. Je fais " hum" parce que la météo, à cette heure matinale,
s’annonçait déjà caniculaire. Et elle le sera…
Bref notre petite bande arrive presque groupée au premier ravito, à mi
pente du Vercors, après le tremplin olympique de Saint-Nizier. Vincent et moi
sommes un peu plus véloces : nous prenons donc le large, sans chercher à
creuser les écarts : de mon côté, j’ai décidé de ne pas forcer, de ne
jamais m’essouffler et d’attendre que la fatigue me rattrape. Je ne veux
pas « piocher » pour gagner
quelques minutes mais me fier à mes seules sensations (je n’ai pas pris de
montre) et avancer à un rythme relâché. Nous arrivons vite à Moucherotte,
descendons Lans en Vercors et , après une collation à base de fromage et de
jambon (il est midi !) nous repartons sous le cagnard pour le sommet du
Vercors : le Pic saint Michel. La chaleur devient plombante et je sens que
Vincent n’apprécie guère cette fournaise. Nous montons gentiment (mais
sûrement : nous gagnerons beaucoup de places dans cette portion),
apprécions la vue (sublime !) avant
d’attaquer la descente « casse patte » vers le gros ravito de Vif. Du
moins, juste avant ce ravito, il faut encore remonter (et le redescendre) un
pétard de 500 m qui fera beaucoup de mal à de nombreux coureurs.
Nous arrivons, Vincent et moi, vers 16 h au Km 40 et
terminons le Vercors assez frais. Les gars sont à une demi-heure environ.
Laurent s’arrêtera là (il n’a pas pu s’entraîner, savait qu’il arrêterait, mais
il tenait à faire partie de la fête avec l’esprit de solidarité qu’on lui
connaît. Il aura sa revanche).
ACTE 2 :
LE TAILLEFER
Direction le Taillefer. Le massif de l’Oisan me
semble le plus difficile à cerner sur la carte : il est long (47 km) et je
n’ai pas réussi à me le mettre en tête. En tout cas on va le sentir passer… Les
premiers km (en transition) se font bien, nous nous permettons même de courir.
L’ascension sur bitume et sous la
chaleur affectent en revanche beaucoup Vincent qui souffre d’un coup de chaud et paraît déjà
entamé. Il transpire énormément et commence à ressentir des dérangements intestinaux : les
bonnes sensations ne reviendront jamais pour lui. Nous montons tout droit un
sentier en forêt avant de descendre pour arriver au ravito de Laffrey (km 54).
Vincent me rejoint, grimaçant : il repart quand même pour le prochain
objectif : La morte. Funeste dénomination qui scellera d’ailleurs son
abandon… Là encore, une côte raide suivie d’une descente nous mènent dans cette
petite station de ski au km 65. La nuit est tombée, nous avons mis les
frontales et il faut s’habiller chaudement car la température a chuté. Vincent
n’est pas bien : il vomit et décide d’attendre pour évaluer s’il se sent
encore capable de continuer. Ce ne sera pas la cas : vu son état, c’est
déjà courageux de sa part d’être arrivé jusque là. Il a lui aussi montré qu’il était
capable de se frotter à ce type de difficulté : il aura sa revanche.
De mon côté, tout va bien. Je suis en revanche
triste pour mes compères et un peu inquiet de devoir repartir tout seul.
D’autant que, maintenant, du très lourd m’attend : d’abord un km vertical
(1000 m de D+ en 5 km) pour arriver au pas de la Vache. Puis un plateau
casse-patte et une descente très difficile vers le ravito du Poursollet (Km
76). Finalement je vais me sentir très à l’aise sur cette portion, et même
doubler du monde. L’état de grâce. Arrêt rapide au ravito (ça
caille !) : je repars vers les Chalets de la Barrière (je mets les
gants) pour une petite ascension de 500 m et un long passage en ligne de crête
avant LA difficulté du parcours : la descente vers Riouperoux. J’étais en
super forme, tout allait bien.
Jusque-là… 1300 m de D- en 4km sur terrain merdique (osons le mot) à
base de petits cailloux roulants… L’horreur ! A la fin de ce truc (je
verrais me dépasser de nombreux coureur plus fort que moi dans cette section)
je me sens brisé et l’idée d’abandonner me trottine dans la tête (pour la
première fois !). J’arrive clopin-clopant à la base vie du km 87 et là, je
vois partout des épaves… Des gars qui rendent leur dossard, qui dorment sur les
tables. Je décide de ne pas céder à ces sirènes et d’entrer dans l’action sans
réfléchir (ça fait du bien de temps en temps et ça peut se révéler efficace…).
Je vais chercher mon sac, prends une douche (froide, et sans serviette), change
de chaussettes, refais le plein, prépare mes affaires. Je déconnecte
complètement de l’idée d’abandon et effectue chaque geste en vue de continuer.
Je sors du ravito sans me poser une question et entame le superbe massif de
Belledonne au levé du soleil.
ACTE 3 :
BELLEDONNE
Si beaucoup rendent leur dossard à ce niveau, c’est
qu’après la descente infernale, il faut entamer la montée de l’enfer… 1200 m
sur 3 km… La côte d’Arselle a servi pour la course du km vertical. Un truc
dingue : « dre dans l’pentu » comme on dit en Savoie. La forme
est revenue, je me sens pousser des ailes. Les SMS d’encouragements commencent
à bipper dans ma poche et ces petits mots me galvanisent. Merci à tous !
J’apprends malheureusement l’abandon de Michael et Wilfried : je suis donc
désormais seul en lice… J’avale la côte d’Arselle en très peu de temps,
laissant encore sur place de nombreux coureurs. Je trace vers la croix de
Chamrousse dans ce massif de toute beauté : du bonheur ! Je sais, à
ce moment, que, sauf accident, je n’abandonnerai pas. Je trace, donc, jusqu’au
refuge de la Pra, remonte, sous un
cagnard infernal, vers le grand Colon (2300 m) avant d’attaquer la descente
vers la dernière base vie de Saint Nazaire (2200 m de D_...) Aïe !
Aïe ! Aïe ! Mon genou gauche me fait souffrir et cette descente,
facile dans sa deuxième portion (j’aurais dû la courir), se révèlera un chemin
de croix. Long. Interminable. J’arrive quand même à Saint Nazaire (km 126) en
boitillant. Je me douche (on ne change pas une méthode qui marche) et prends le
temps de visiter la jolie ostéo censée réparer mon vilain genou. Elle me fera,
durant une demi-heure, plus de mal que de bien : je repars de ce ravito en
claudiquant et en me demandant comment je vais parvenir à avaler les 42 bornes
restantes (un marathon : une paille !). 3 ou 4 km en plaine avant
d’attaquer le dernier massif : la chartreuse.
ACTE 4 :
LA CHARTREUSE
Sur le papier, c’est le massif qui fait le moins
peur. C’est vrai : le terrain est moins difficile que les autres, malgré
un dénivelé similaire. Mais c’est le dernier…
Je décide que mon genou ne me fait pas mal (je ne plaisante pas :
c’est comme ça que j’ai attaqué les 1400 m de montée) et me cale derrière un
groupe de jeunes bien toniques inscrits que le 90 km. Ils me traînent en peu de
temps vers le ravito de la croix de Chamechaude (super sympa !
j’y reste 20 minutes à déconner avec les gars qui tiennent la cabane).
J’attaque ensuite le point culminant du massif, après avoir mis la frontale. Ce
sera le seul terrain compliqué de la Chartreuse, que j’aimerai voir de jour (le
terrain calcaire est d’un blanc d’une pureté exceptionnelle). A partir de là
(il est à peu près minuit et il me reste 25 bornes) j’avoue que je ne vais plus
prendre de plaisir. Mais alors plus du tout. Je ne pense qu’à une
chose : arriver. J’attaque la
descente, peu fringant, vers le ravito de Sappey (km 151). INTERMINABLE !
Je ne parviens pas à courir (mon genou se réveille à la moindre descente et mes
pieds commencent à s’échauffer…) Je ne suis plus dans la course mais dans la
fin… Alors ça ne passe pas vite. J’avale pourtant comme une balle la montée
vers Saint Eynard (là, je lâche tout !), souffre dans la descente vers le
col de Vance, remonte sans entrain la côte du Rachais et commence la descente
vers Grenoble. Un chemin de croix. J’ai appelé mes compères (qui me l’avaient
gentiment proposé) afin qu’ils m’accueillent à l’arrivée. Ils sont là tous les
4, face à la ligne, à m’encourager pour un finish en courant (sur les 400
derniers mètres). 46h, 44 minutes et 57 secondes. FINISHER UT4M ! Une
belle émotion. Merci à Laurent, Michael, Wilfried et Vincent pour leurs
encouragement et leur « maternage » d’après course : ils ont été
exceptionnels. Merci aux joggers et aux amis pour les SMS de soutien. Il faut
imaginer ce que la succession de « bip bip » sur le portable peut susciter
comme encouragements sur ce type d’épreuve.
Acte 5 : BILAN ET PERSPECTIVE
La réussite sur ce type de course dépend de nombreux
facteurs, et j’avoue avoir eu de la chance et de bonnes fenêtres d’opportunité.
Première chose, fondamentale : j’aime la montagne.
J’y suis bien et je ne la perçois pas
comme un simple terrain de jeu avec du relief, mais aussi comme un lieu de
plénitude et de contemplation. Deuxième paramètre : l’entraînement,
parfait pour ce qui me concerne, comme je le signalais plus haut.
Troisième : la météo, sur mesure pour moi. Quatrième, l’alimentation. Je
suis sensible à ce problème en ultra. Là, j’ai essayé une boisson à l’effort
dans l’un de mes bidons J’ai senti que c’était un problème : j’ai donc tout de suite changé pour du Coca
pur. Deux gorgés de Coca, deux de flotte toutes les 2/3 minutes sans jamais
s’arrêter pour boire. 1, 5 L en tout entre 2 ravitos à peu près (plus 1 ou 2
Pomme Pot’). Du solide en quantité raisonnable sur chaque ravito (soupe,
jambon, fromage). Tout est passé comme une lettre à la poste. J’ai régulé ma
glycémie en prenant le Coca pris en faible quantité mais sur des prises
régulières. J’ai dû en boire 8 litres, j’ai mangé 14 compotes et grignoté
quelques cochonneries sur les ravitos.
Je savais que le Coca était la recette magique de certains courir (Merci à Laurent Nouvellon, de m’avoir parlé d’Eric
Arvieux sur le Tor des Géants).
Dernier paramètre : le sommeil, je reste étonné de mon attitude.
Pas une fois j’ai eu envie de dormir (mais je ne me suis pas arrêté en dehors
des ravitos). Je n’ai même pas bu un seul café ! Hypothèse judicieuse
émise par notre cher doc Jean-Pierre : malgré sa faible concentration, la
caféine du Coca a pu m’aider. Anecdote quand même : en descendant vers
Grenoble, Soazig m’appelle et je me mets à pester contre cette interminable
côte alors qu’il existe des escaliers. Je lui manifeste que la dernière fois
que nous sommes venus à Grenoble, nous avions garé la voiture en bas et avions
pris les marches. Pourquoi donc nous faire passer ailleurs, merde ! Soazig
n’a rien dit (j’étais presque arrivé). Mais nous ne sommes jamais allés à
Grenoble. Je devais quand même déconnecter un peu…
Dans tous les cas je conseille cette course, appelée
à faire un beau succès. L’an prochain il sera possible de faire la course sur 4
jours (un jour, un massif) : de quoi susciter des vocations !